Bilan en travail de rue dans le quartier de Ville-Émard/Côte-Saint-Paul en 2023-2024
Faits saillants Population rejointe
Introduction
Ville-Émard/Côte-Saint-Paul est un quartier enclavé, familial et résidentiel, loin de tout.
Au bout de la ligne verte, comme disent certaines personnes. Il n’y a pas de tourisme et tout y est caché,
que ce soit l’itinérance ou la consommation.
Milieu jeunesse
Il existe finalement de nombreux lieux à investir, explorer et où se faire inviter dans le quartier, comme l’école secondaire Honoré-Mercier, avec les nombreux événements communautaires, activités et aussi des ateliers de l’organisme Cumulus. Il y a aussi la Maison de jeunes RadoActif située au sein de l’école ; le Centre de Loisirs Monseigneur Pigeon avec son programme sportif du J2000 les soirs après l’école. Au-delà des lieux évidents, d’autres espaces sont aussi utilisés par les jeunes, notamment les restaurants comme le Sylvana lors du temps du lunch, ou encore l’ancienne friperie sur Monk depuis fermée, mais qui accueillait les jeunes sans pour autant les obliger à consommer ; et aussi la bibliothèque, institution qui fait maintenant partie du comité jeunesse et est un espace jeunesse en soi.
Cette année a été marquée par la grève du Front commun, ce qui a entraîné des difficultés dans la régularité de mes présences et la réalisation de certains projets. Cette période a été dure à vivre pour certains, jeunes comme moins jeunes, d’autant que l’année avait commencé par une certaine fatigue des intervenant·e·s jeunesse face à la montée de phénomènes de violence chez les jeunes. Comme l’an passé, certains commerces se sont plaints des jeunes de l’école secondaire Honoré-Mercier, les commerçants ont demandé le soutien du communautaire afin d’effectuer des présences sur des temps ciblés. Une dynamique semblable se retrouvait le soir au sein de l’école secondaire durant les matchs de basketball, ce qui entrainait des sanctions contre une partie ou la totalité du public.
Je finirai par une note plus positive en insistant sur le fait que les jeunes sont bien dans le quartier, le plus souvent dehors, mais ils utilisent les quelques services offerts par le quartier.
Toutefois, une partie des jeunes qui passent la barre des 18 ans se retrouvent sans espace à occuper dans le quartier, cela prendrait un lieu d’accueil et de loisir plus inconditionnel pour permettre aux jeunes d’avoir un lieu de vie.
Consommation
Si je n’ai pas constaté une augmentation de l’itinérance visible, j’ai eu affaire à une expression employée par un de mes contacts, à savoir « l’itinérance de sofa ». De fait, j’ai constaté qu’il y avait beaucoup plus de monde qui trouve des arrangements avec certain·e·s résident·e·s pour rester dormir à leur domicile, dynamique le plus souvent vue dans les milieux de consommation.
Au sein du quartier, c’est finalement la consommation de cocaïne que je retrouve de façon la plus régulière auprès de mes contacts. Néanmoins, les personnes en situation d’itinérance vont plus facilement vers le crack ou le speed, alors que je vois le milieu jeunesse se tourner vers d’autres substances comme le cannabis, la vape, et aussi des stimulants.
J’ai constaté une augmentation de la consommation de crystal grâce à mes distributions de matériel plus nombreuses, en revanche, la demande de matériel d’injection est en baisse auprès de moi. Or, j’ai pourtant récupéré plus de seringues usagées que je n’en ai distribué. Le matériel à la traîne dans les rues et ruelles demeure anecdotique, à titre d’exemple, j’ai ramassé 6 seringues à la traîne en 6 mois.
Pour finir sur la consommation, j’ai constaté que les demandes de matériel étaient beaucoup plus importantes durant l’été et notamment auprès des jeunes adultes. Les messages de prévention que je véhicule portent leurs fruits, j’ai été agréablement surpris de recevoir des demandes pour des bandelettes de test fentanyl ainsi que de la naloxone, même de la part des personnes qui ne consomment pas, mais qui évoluent dans ces milieux.
Milieu adulte
Les difficultés évoquées par les habitant·e·s au sein du quartier restent souvent les mêmes, à savoir le coût de la vie et en particulier du logement. Cette réalité est tout autant partagé par les personnes en situation d’itinérance que les personnes déjà en logement. Les difficultés financières se traduisent aussi dans le quartier par le nombre de commerces ouverts puis fermés. Les personnes en situation de précarité recherchent des alternatives comme sur le panier d’épicerie en bénéficiant des ressources en dépannage alimentaire du quartier. J’ai aussi constaté les départs de certain·e·s travailleur·ses vers des emplois mieux rémunérés, les gens essayent toutes les pistes de solution pour s’en sortir. J’ai notamment accompagné plusieurs jeunes de l’Auberge Communautaire du Sud-Ouest dans des démarches de recherche d’emploi.
Le portrait de l’itinérance demeure globalement identique avec les quelques habitué·e·s de Ville-Émard/Côte-Saint-Paul, les personnes se situent le plus souvent sur le boulevard et la station Monk. Au courant de l’année, avec l’ouverture du Service d’hébergement urgence Gordon à Verdun qui se trouve à proximité de la station Jolicoeur, j’ai observé une plus grande fréquentation de la station de métro.
Le point important aura été l’ouverture du service de la clinique itinérance à Saint-Henri, cela a permis de faciliter l’accès aux soins pour cette partie de la population. Bien qu’à l’extérieur du quartier, j’ai pu accompagner plusieurs personnes vers ce service, ce qui a permis une réaffiliation vers les services institutionnels. Dans le quartier, l’enjeu qui subsiste pour les personnes en situation d’itinérance est celui de l’accès à des services de proximité, notamment en ce qui concerne la nourriture. Les ressources actuelles sont plus adaptées aux personnes avec un logement.
Sur le point des campements, j’en ai moins observé cette année, une tente au lieu de quatre l’hiver dernier. Les enjeux d’acceptation des campements sur le territoire Montréalais demeurent une question centrale et régulièrement remise sur la scène médiatique.
Conclusion
Ville-Émard/Côte-Saint-Paul est un quartier plein de défi mais il existe une réelle volonté d’améliorer les choses avec nos nombreux partenaires communautaires et institutionnels. La crainte à venir est l’accélération de la gentrification comme nous le constatons sur les autres territoires desservis par le TRAC.
Florian
Travailleur de rue à Ville-Émard/Côte-Saint-Paul